Vesa Leppänen de Pixabay

Epiphanie : Matthieu, l'évangéliste créatif

Matthieu écrit son évangile dans un moment de grande difficulté pour le judaïsme. Le temple est détruit et l’avenir même du judaïsme est compromis. Il faut le refonder sur de nouvelles bases. Matthieu veut montrer aux juifs que l’envoyé de Dieu tant attendu par son peuple, c’est Jésus. Et Matthieu souhaite refonder le judaïsme à partir de la personne et de l’enseignement de Jésus. Alors j’ai toujours trouvé bizarre que Matthieu soit le seul à parler de mages. Eh oui, les mages ne sont pas des juifs justement. En fait Matthieu s’appuie sur la tradition juive et il lui redonne une nouvelle vie.

Rois, chameaux avec l’or et l’encens … tout cela se trouve dans la dernière partie du livre du prophète Esaïe. Pour lui, la foi en Dieu sera universellement reconnue. Elle sera attractive comme nous disons de nos jours. Selon le prophète, même les gens les plus importants reconnaitront la valeur de la foi en Dieu telle qu’elle s’est révélée dans l’Ancien Israël. Tous viendront à Jérusalem pour honorer Dieu.

Matthieu 2.2 à 12

L’évangéliste Matthieu est un juif qui parle aux juifs. Et il leur dit, oui, la prophétie d’Esaïe s’est réalisée. Mais pas comme nous l’imaginions. La Parole de Dieu ne rayonne pas dans le monde à partir de Jérusalem. La Parole de Dieu c’est un petit enfant couché dans une crèche. Les chameaux amèneront de l’or et de l’encens pour les lui offrir.

Matthieu utilise des formes d’expression compréhensibles par les juifs de son temps. Le début de son évangile est rythmé par une série de citations de la Bible de l’époque. Il veut clairement faire comprendre aux juifs que le ministère de Jésus s’enracine dans les profondeurs de leur foi.

Pour commencer

La fête de l’épiphanie c’est une galette avec une fève et celui qui tombe sur la fève c’est le roi d’un jour. Cette manière de fêter l’épiphanie remonte au moins au Moyen-Âge.

Mais l’idée de faire une fête début janvier remonte à des temps très lointains, bien avant la naissance de Jésus, surtout dans les régions situées à l’Est de la méditerranée. Entre les deux (la fête du Moyen-Âge qui ressemble à la nôtre et celle qui existait déjà dans l’Antiquité lointaine), entre ces deux fêtes : la Bible, le récit de l’Épiphanie qui raconte comment des savants, spécialistes des étoiles sont venus de loin pour s’incliner devant la divinité de Jésus.

La fête chrétienne de l’Épiphanie s’appuie sur le texte de la Bible. Elle symbolise au moins trois aspects fondamentaux de l’espérance chrétienne.

1 La venue de Jésus constitue l’aboutissement du Premier Testament.

Tout le début de l’évangile de Matthieu montre comment Jésus vient accomplir les promesses conservées dans l’Écriture au sens juif du terme. Les deux premiers chapitres de l’évangile de Matthieu se basent sur l’Ancien Testament. Il montre à quel point les deux Testaments sont liés.

La révélation chrétienne s’exprime autant dans l’histoire de l’Israël ancien (Ancien Testament) que dans la personne de Jésus (Nouveau Testament).

Jadis, le prophète Esaïe avait annoncé le rayonnement de la parole de Dieu dans le monde entier. C’est un message universel. Et nous voyons en lisant le texte de l’Epiphanie comment cette idée trouve son accomplissement avec Jésus, le Christ. C’est pourquoi j’appelle Matthieu le créatif. Il reprend un des textes fondamentaux de l’Ancien Testament pour le faire revivre dans la situation nouvelle dans laquelle se trouve le judaïsme.

La foi en Dieu est une création continue, enracinée dans des valeurs pour toutes les époques mais déclinée sans cesse de manière nouvelle.

Mais vous allez me dire, nous ne sommes pas à Jérusalem comme l’a annoncé Esaïe mais à Bethléem. Oui, ce n’est pas Jérusalem. Lorsque Matthieu rédige son évangile, le temple de Jérusalem est détruit. Mais notre évangéliste a un joker : Bethléem, c’est la ville du roi David. Or symboliquement, l’envoyé de Dieu ne pouvait qu’être un descendant du roi le plus prestigieux de l’histoire d’Israël, donc un descendant du roi David.

La foi en Dieu est une création continue […],
déclinée sans cesse de manière nouvelle.

D’où mon titre : Matthieu le créatif. Il fait revivre la tradition en y puisant ce qu’il y a de meilleur, mais en l’adaptant aux temps nouveaux. Jérusalem est détruite mais Dieu agit toujours, il réalise sa promesse, mais nous devons la lire cette promesse avec le regard de notre temps. Voilà ce que dit Matthieu tout au long de son évangile et en particulier dans le récit des mages.

2 La manifestation de Dieu à tous et toutes, à tous les peuples.

Matthieu, s’adressait à des juifs et il leur dit en quelque sorte « Regardez, même des savants étrangers viennent de très loin pour adorer Jésus. Dieu se révèle en Jésus pour le monde entier alors, à plus forte raison, vous le peuple élu vous pouvez reconnaître en Jésus le messie tant attendu et le judaïsme peut être reconstruit à partir du message et de la personne de Jésus »

Cette dimension universelle du christianisme naissant ira en se développant. Très tôt des grands écrivains chrétiens évaluent à trois le nombre de mages tout simplement parce qu’il y a trois cadeaux. Dans la Bible le nombre de mages n’est pas indiqué. Une année, lorsque j’avais trop d’enfants pour une saynette de Noël, j’ai mis en scène cinq mages, bibliquement cela restait juste.

Plus important, ces trois mages ont représenté dès le début du Moyen-Âge l’ensemble du monde connu de l’époque d’où la présence d’un noir. De nombreux peintres vont même plus loin et ils représentent les trois mages avec des âges différents : un jeune, un adulte et une personne âgée.

L’universalité du message chrétien est désormais acquise mais du temps de l’enfance du christianisme ce n’était pas du tout le cas. L’apôtre Paul par exemple se plaint, dans sa lettre aux Galates, des hésitations de Pierre sur la question. Pourtant cette universalité du message chrétien plonge, lui aussi, ses racines dans le Premier Testament. Esaïe, nous l’avons entendu, annonce le temps où toutes les nations reconnaîtront le Dieu de la Bible, le Dieu d’Israël. Ésaïe n’est pas le seul. Dans le livre de la Genèse Dieu dit à Abraham : « En toi toutes les nations seront bénies ».

L’Épiphanie c’est la fête du succès de Dieu. Des personnages importants, venus de loin lui remettent des cadeaux. Ils ont reconnu Dieu dans la personne de Jésus. Ils se mettent à genoux devant Dieu. Dieu a les représentant du monde entier à ses pieds en quelque sorte. C’est bien entendu symbolique. Cela signifie que le christianisme doit accueillir toutes les cultures de toutes les époques. 

3 Nous sommes toutes et tous roi et reines

Le succès du christianisme en a fait une religion universelle. Mais, il a du coup, parfois du mal à parler personnellement à chacun. Les grandes idées sur Dieu, la Bible, l’Esprit Saint, les grandes idées sont indispensables tout simplement parce que nous avons des choses profondes à dire. Mais ces grandes idées ne donnent pas toujours l’impression que le message évangélique est adressé à chacun, chacune, personnellement.

pour Dieu, chacun, chacune est roi.

Dieu ne s’adresse pas seulement à d’étranges voyageurs venus de loin. Lorsque j’étais pasteur dans une paroisse lorraine j’organisait, une fois par mois, un culte parents/enfants. Pour celui de l’Epiphanie, je m’étais mis d’accord avec le pâtissier. Il a préparé des galettes avec … une fève par portion. Le premier enfant à avoir eu la fève a été content mais tout de suite après d’autres l’avaient aussi.

En fait, chacun a eu une fève. Après ce début gustatif, j’ai expliqué à toutes et tous que, pour Dieu, chacun, chacune est roi. Bien sûr, nous mangeons cette pâtisserie en nous demandant qui sera le roi. Oui, il est bon, une fois d’être le roi ou la reine, d’être personnellement au centre de la tablée. Mais pour Dieu nous ne sommes pas une fois le centre de la tablée, nous le sommes toujours.

Dieu s’est révélé à ces savants venus de loin, Dieu s’est révélé à ces gens au savoir inaccessible pour les lecteurs de l’évangéliste Matthieu. Dieu a été reconnu jusqu’aux confins du monde connu, mais Dieu reconnaît aussi tout un chacun. Autour de la table seule une personne sera le roi ou la reine d’un jour. Face à Dieu nous sommes tous rois ou reine, et tous les jours, aux yeux de Dieu nous valons tous autant que des rois ou des reines.

Mais encore

L’évangéliste Matthieu ne s’adressait pas à nous pourtant il nous a livré un des fondements de la parole de Dieu. Il a réalisé (involontairement), ce que lui-même prônait : Dieu ne se révèle pas comme nous le pensons. Matthieu écrit : Les anciens d’Israël attendait un messie glorieux à Jérusalem, mais Dieu s’est révélé dans un enfant à Bethléem. Ironie de l’histoire ou humour de Dieu, d’un côté Matthieu a échoué dans son projet. Il voulait refonder le judaïsme mais finalement il a été un des fondateurs du christianisme.

L’Épiphanie célèbre le succès de Dieu jusqu’au bout de l’univers connu. Mais dans sa forme la coutume rappelle l’importance de chacun. Dans notre monde anonyme, dans notre univers marqué par la culture de masse, nous avons besoin d’être considéré comme des personnes uniques. Or Dieu est tellement grand qu’il peut, justement du fait de cette grandeur, regarder chacun et chacune d’entre nous personnellement.