La culture religieuse, vue par un protestant

La culture religieuse, vue par un protestant

Un atout pour la foi

La culture religieuse s’étudie comme tous les autres aspects de la culture. Parler de culture religieuse, c’est tout simplement comprendre les différentes religions. Cela se fait avec les outils scientifiques de notre temps : l’histoire, la sociologie, la psychologie etc. etc. Ici la démarche scientifique passe avant les discours des religions sur elles-mêmes. Cela se veut une démarche objective, sans jugement sur le bienfondé des croyances et rituels.

Cela a commencé à la fin du 18e siècle. Les sciences sont déjà bien développées et ont une certaine aura dans la population. Alors des scientifiques se sont intéressés aux religions. Ils ont exercé leur liberté de chercheurs sans se soumettre aux croyances défendues par les religions. A l’époque en occident, il s’agissait surtout du catholicisme et du protestantisme.

L’un des premiers à faire cette démarche était un savant de Hambourg, nommé Reimarus. Il a publié toutes ses recherches, sauf celle concernant la religion, à l’époque c’était plus prudent. Ce sont ses élèves qui ont édité ses travaux sur la question après sa mort ! Ensuite, petit à petit, cette manière d’étudier le religieux s’est développé en même temps que toutes les autres sciences.

Notre Reimarus vivait dans un pays protestant et l’étude comparée des religions s’est d’abord développée dans les espaces protestants. La première chaire d’étude religieuse est créée à Genève vers 1870. Les pays catholiques ont suivi. En France un savant catholique du nom d’Ernest Renan a été interdit d’enseigner l’hébreu. Le pape Pie 9, le traite de blasphémateur européen, et en1864, le ministre de l'Instruction publique supprime son cours.

Nous n’en sommes plus là, l’étude scientifique des religions se développe sans problème. Elle prône une approche objective des religions, sans parti pris. Or, je pense qu’il existe une manière protestante et une manière catholique de présenter l’étude des religions.

C’est logique : Les savants connaissent énormément de choses, mais pour présenter leurs connaissances, ils sont obligés de faire des choix. Aucun savant ne peut tout dire. Il existe bien deux manières de présenter objectivement le religieux : la catholique et la protestante.

Pour commencer

Etudier les religions de manière objective c’est surtout les comparer. Je me limite aux grands monothéismes en les regardant avec les outils intellectuels de notre temps. C’est ce qu’avait fait le français Ernest Renan. Il a étudié la vie de Jésus comme les savants étudient la vie des grands personnages. La culture religieuse ou l’étude comparée des religions consiste tout simplement à regarder les religions avec la culture de notre époque, c’est-à-dire : utiliser les manières de penser contemporaines pour les comprendre.

J’ai choisi un texte biblique pour aborder cette question (qui ne se posait pas aux temps bibliques). C’est un extrait du discours de l’apôtre Paul aux athéniens. Ils ne sont pas chrétiens. Paul, dans ses lettres, présente la plus ancienne confession de foi chrétienne : Jésus Christ est le Seigneur. De nos jours nous dirions peut-être Jésus, c’est Dieu dans notre monde ou quelque chose de ce genre-là. Alors je vous propose le discours de Paul aux athéniens afin de repérer comment il leur présente le Dieu chrétien.

Actes 17.22 à 28

Paul s’immerge complètement dans la culture des athéniens de son temps. Il part de leur pensée. Il les félicite pour leur intérêt religieux et il parle de Dieu en utilisant les connaissances des athéniens : Dieu a créé le ciel et la terre etc. Et pour finir il leur dit : Dieu n’est pas loin de chacun de vous et il rappelle que certains poètes athéniens avaient déjà dit : Nous sommes les enfants de Dieu.

En comparant les religions de manière objective nous faisons tout simplement ce que Paul faisait déjà devant les athéniens : nous partons de concepts parfaitement compréhensibles par chacun de nous.

Cela commence par le repérage de tout ce qui est visible au niveau des phénomènes religieux.

1 Valoriser les ressemblances

En général il s’agit de comparaisons destinées à minimiser les différences entre les croyances. Pourquoi ? Tout simplement dans un but de paix et de compréhension. Ainsi les monothéismes ont tous des lieux de cultes dans lesquels les croyants se rassemblent, des rituels importants, un fondateur et des livres sacrés, un jour particulier dans la semaine, et, bien souvent des coutumes alimentaires.

Il est possible d’aller plus loin car tout ce qui se voit dans le religieux, cela reflète en réalité une croyance. Regardez un lieu de culte réformé. Souvent, la chaire est au-dessus de la table de communion. Pour les réformés la compréhension de la Parole de Dieu est au-dessus de la participation aux rites.

Lorsque tous les regards sont tournés vers l’autel où se trouvent les hosties, le rite est valorisé au moins autant et souvent même davantage que la compréhension des mystères de la foi. Ces aménagements différents expriment une manière de croire.

Le décor des mosquées reflète lui aussi une conviction : il ne faut pas reproduire ce que Dieu a créé, donc pas d’art figuratifs. Mais comme il faut faire de belles choses en l’honneur de Dieu, les mosquées sont décorées avec des arabesques. Comme l’écriture arabe classique permet des entrelacs très esthétiques, des versets du coran peuvent ainsi prendre une forme très décorative.

Cette manière de comparer les religions aide à leur compréhension et nous acceptons facilement ces différences. Regarder un autel bien décoré, avec une petite lumière rappelant la présence des hosties, n’est pas plus ennuyeux que d’écouter une personne causant depuis une chaire!

Mais la religion, c’est d’abord des personnes croyantes. Elles font un pari existentiel sur les questions ultimes. Nous avons des pratiques visibles mais aussi des pensées intimes. Certains savants, par respect pour les convictions personnelles n’entrent pas en matière sur ce plan. Mais cela revient à étudier un phénomène sans se préoccuper des principaux protagonistes.

Ici l’étude doit devenir plus profonde au risque de devenir moins objective. Les trois grands monothéismes ont chacun un fondateur et une écriture sainte. Mais cette approche ne tient pas compte des croyances des adeptes de ces religions. Pour les musulmans, la parole de Dieu avec un P majuscule, c’est le Coran. Pour les chrétiens, c’est Jésus-Christ.

Eh oui, l’Islam est une religion du livre, mais pas le christianisme. Le Coran, pour les musulmans, a été directement dicté par Dieu et Mahomet n’est que l’intermédiaire entre Dieu et les humains. Ils doivent donc tous se soumettre à cette écriture. Pour nous, la Parole de Dieu, c’est une personne et les Écritures sont le moyen de la connaître.

La foi réelle des croyants échappe
aux principes fondateurs de leur religion

Fondamentalement, il n’est pas possible de faire le tour d’une personne. Il y a toujours un mystère dans le christianisme. Dieu n’est jamais entièrement définit. En Islam, par contre Allah est défini par 99 adjectifs. Le christianisme est une religion de l’événement : l’irruption de Dieu dans notre monde en la personne de Jésus-Christ. L’Islam est une religion du livre : la dictée, par Dieu de ce qui est bon pour les humains.

2 Analyser les différences

Mais c'est de la théorie car certains chrétiens font de la Bible la parole de Dieu au sens propre alors qu’elle est parole de Dieu au sens figuré. Cela nous amène à un autre phénomène : la foi réelle des croyants échappe bien souvent aux principes fondateurs de leur religion.

Il a y longtemps je faisais visiter différents lieux de cultes aux élèves de l’école normale d’Alsace, des futurs instituteurs, donc des personnes portées à la réflexion intellectuelle. Ils avaient, en parallèle, un cours d’histoire sur les religions. Leur professeure (d’origine magrébine), leur a expliqué que l’obligation du voile n’est pas du tout dans le Coran.

Conclusion d’un futur instituteur : interdire le port du voile à l’école ne nuit pas aux croyances des élèves musulmanes. Sauf qu’il s’agit là d’une approche intellectuelle. Bien sûr les instits croient les écrits. Mais les jeunes musulmanes ne lisent pas le Coran. Elles portent le voile parce que leur mère et leur grand-mère le portent et parce que leur fille le portera.

L’approche comparée des religions peut nourrir notre foi car elle nous aide à prendre du recul par rapport à nos croyances. Mais la foi n’a pas pour origine un processus intellectuel. La foi habite les humains indépendamment de leur volonté. Nous nous référons à des doctrines mais elles ne sont pas à l’origine de la foi. La foi découle de notre façon de comprendre notre dimension spirituelle.

Après avoir pris l’exemple des musulmanes je vais parler de la référence à l’Écriture chez les protestants avec l’exemple du péché originel. Cette doctrine a été élaborée par St Augustin plus de quatre siècles après la mort de Jésus. Donc évidement, Jésus n’y croyait pas. Cette idée est totalement absente de la Bible.

Certains ont vu dans le récit d’Adam et Eve la justification de la doctrine du péché originel. Lisez ce récit, pas une seule fois il y est mention de péché. Non seulement il ne parle pas de péché originel mais il ne parle pas de péché tout court. La première mention du mot péché se trouve plus tard dans le récit de Caïn et Abel.

Alors nous pouvons affirmer que les musulmanes suivent une pratique qui ne vient pas du Coran, mais il nous faut aussi rappeler que bien des protestants ont des croyances qui ne viennent pas de la Bible !

L’étude scientifique des religions peut aider à la tolérance. Non pas en relativisant, du style : certains ont la chaire au-dessus de la table de communion et d’autres décorent leur lieu de culte avec des motifs abstraits. Mais au contraire en approfondissant : nos croyances ne sont pas toujours aussi rationnelles que nous le pensons.

Analyser les monothéismes en décrivant, lieux de cultes, rituels, fondateurs, livres sacrés etc. c’est tout simplement adopter une approche catholique des phénomènes religieux. Les pèlerinages font partie de la foi catholique et en particulier ceux consacrés à Marie, la mère de Jésus. C’est sans doute un des aspects les plus connu du catholicisme : tout le monde le sait, les catholiques possèdent des sanctuaires consacrés à Marie.

Rien de tel chez les protestants. L’aspect le plus connu du protestantisme c’est les gospels. Donc l’équivalent des pèlerinages à Marie, ce sont les gospels. Ils ont la même fonction identitaire que la foi mariale. Le monde entier connait Amaznig grace comme le monde entier connaît les pèlerinages à Marie. L’étude comparée des religions se doit donc de comprendre les différences profondes et pas seulement des nuances du style les juifs ont le samedi et les chrétiens le dimanche.

3 D’importants points communs

Ceci dit, il y a tout de même des points communs entre les grands monothéismes. Ils ne sont pas valorisés par les chercheurs imbibés de catholicisme. Car le premier point commun des grands monothéismes c’est leur diversité interne dès l’origine. Dès le départ de Jésus, plusieurs christianismes différents se sont développés. La diversité interne du christianisme ne s’est pas élaborée au fil du temps, elle a existé dès le début.

Le premier point commun des grands monothéismes
c’est leur diversité interne dès l’origine

Le mouvement chiite chez les musulmans, vient du gendre de Mahomet, donc de la première génération ! Dès le départ il y a eu des judaïsmes, des christianismes et des islams. C’est le premier point commun entre les grands monothéismes et cela fait leur profondeur. Faire l’impasse sur cette caractéristique ce n’est pas seulement faire une erreur scientifique, c’est aussi leur enlever leur principale richesse.

Les grands monothéismes ont encore un autre point commun : ils évoluent sans cesse. Tout ce que nous voyons du judaïsme, du christianisme et de l’islam date, au plus tôt, de la fin du 19e siècle. Les pèlerinages à Marie, comme les gospels (les gospels c’est même le 20e siècle), comme les frères musulmans en Egypte (1922) les Séouds en Arabie (1929).

Mais encore

Même les tendances s’appuyant sur le passé datent en réalité de notre époque ! Elles présentent en effet un passé mythifié et ne reproduisent pas la foi des ancêtres mais vivent une forme de foi élaborée à notre époque. Et d’une manière générale, la vie religieuse des croyants de 2024 ne ressemble pas à celle de nos prédécesseurs.

C’est une autre caractéristique principale des grands monothéismes : leur foi ne ressemble pas du tout à celle du passé. Leur foi ressemble à ce qu’ils espèrent pour l’avenir. Elle n’est pas fidélité aux ancêtres, elle est fidélité aux enfants.