Ne restez pas à regarder le ciel

Ne restez pas à regarder le ciel

Luc écrit une œuvre pour l’avenir, remplie d’espoir, un récit militant dirions-nous de nos jours. Il voulait développer le christianisme, en particulier dans les milieux juifs ouverts à la culture greco-romaine. Nous sommes 40 jours après Pâques et Luc raconte comment Jésus quitte notre monde devant ses 11 apôtres. Ce récit fonde la fête de l’Ascension.

Après la mort de Jésus le Vendredi-Saint et ses réapparitions après Pâques, les apôtres vivent une quarantaine de jours un peu bizarre. Jésus n’est plus là tout en étant encore présent. Puis il quitte définitivement le cercle des disciples et les voilà laissés à eux-mêmes. Le récit de l’Ascension clôt ce temps entre le passé avec Jésus et l’avenir inconnu.

Actes 1.1 à 14

Le récit du début des Actes des apôtres contient bien des faits merveilleux. Ils ont une valeur symbolique. Luc ne nous fait pas un reportage sur des événements dont les vidéos circulent sur les réseaux sociaux. Il parle pour des gens vivants il y a 2000 ans. Il utilise leur langage pour exprimer des vérités profondes dont la valeur traverse les époques.

Pour commencer

La dépression est un phénomène aux multiples facettes. L’une de ses particularités c’est qu’elle manifeste l’irruption d’une certaine lucidité. Lorsque nous avons la fièvre, cela montre que notre corps combat une infection. Nous ne sommes pas bien parce que notre corps fait son travail. Ce n’est pas la fièvre la maladie, la maladie c’est l’infection. La fièvre c’est le signe de la maladie.

1 Les vertus de la dépression

Un des aspects de la dépression me fait penser à cela. Je vais plutôt utiliser le mot déprim, moins connoté médicalement. Je ne vous parle pas d’un point de vue médical, mais d’un point de vue humain. Nous sommes parfois agressés par des réalités très dures. Lorsque notre être prend conscience qu’il faut absolument s’adapter à une situation contraire à nos désirs, il nous faut faire le même travail que celui de notre corps lorsqu’il est agressé par une infection.

Parois, la déprim, c’est le signe que notre être intègre en lui, une réalité dans laquelle il devra vivre, comme la fièvre montre que notre corps combat une agression infectieuse. La déprim nous échappe, ce n’est pas nous qui décidons de déprimer, comme la fière nous échappe, ce n’est pas nous qui décidons de nous donner la fièvre. Non la fièvre arrive à notre insu, comme la déprim nous arrive à notre insu.

Et une des caractéristiques de la déprim, c’est qu’il faut du temps pour en sortir. Tout simplement parce qu’il faut du temps pour toutes les transformations de notre vie. Après le choc de Vendredi Saint et de Pâques, il faut attendre 40 jours avant que, je cite le verset 6 de notre texte : Jésus s’élève vers le ciel pendant que tous le regardent. Dans la Bible, le nombre 40 est un nombre symbolique. Il représente un temps assez long. Ce temps de 40 jours décrit aussi un temps d’attente. Les disciples attendent et ne savent pas exactement … ce qu’ils attendent. Un événement ? Le retour du Christ ? En fait ils ne savent ni quoi penser ni quoi faire.

C’est à eux de trouver la force pour avancer dans la vie

Après les événements de Vendredi-Saint et Pâques les disciples sont complètement désemparés. Ils sont encore un peu dans le passé. Jésus leur apparaît ici ou là. Ils se demandent où ils en sont et ils demandent à Jésus : quand rétabliras-tu le royaume d’Israël ? Mais, lorsque Luc écrit son évangile, ce royaume a disparu. C’est un peu comme s’ils demandaient : quand vivrons-nous des temps meilleurs ? Quand est-ce que cela ira mieux ?

2 Vous recevrez une force

Réponse : vous n’en saurez rien mais vous recevrez une force. En fait, sortir de la déprim, c’est tout simplement retrouver la force d’avancer à nouveau dans la vie. Bien sûr, au bout de 40 jours c’est une petite déprim car, en général c’est un peu plus long. Mais ce récit symbolise ce processus : accepter, en soi, en dedans de soi-même qu’il faut s’adapter à une nouvelle donne ! Ce n’est pas encore se lever et agir. Mais c’est une étape.

Ce n’est qu’une étape en effet puisque les disciples restent le nez en l’air. Ils regardent le ciel, alors qu’ils ne voient plus Jésus. Ils n’ont pas encore tout à fait compris : Jésus ne reviendra plus. C’est à eux de trouver la force pour avancer dans la vie

Alors deux hommes en blanc les réveillent : ne restez pas à regarder le ciel. Il reviendra. Sous-entendu : bougez-vous, rien n’est jamais perdu, un jour cela sera différent. Si les deux hommes avaient dit cela 40 jours plus tôt, ils n’auraient pas été entendus. Il a fallu d’abord ce long processus d’errance psychologique avant de pouvoir entendre certaines choses. C’est ainsi. Nous avons besoin de temps.

Il faut un processus de maturation avant de pouvoir accepter et entendre certaines choses. Les deux hommes n’annoncent pas : il reviendra dans 40 mois, 40 ans ou 40 siècles. Ils disent aux disciples : installez-vous dans cette situation, Jésus n’est plus là et vivez avec ce manque. Vivez sans lui, existez, respirez ne passez pas votre temps à attendre, vivez votre vocation d’êtres humains.

Il faut attendre bien, sûr, le temps que les choses soient mûres en nous, et laisser ce temps nous transformer petit à petit. Nos amis ne commencent pas à annoncer de suite l’Évangile à tout le monde. Simplement ils arrêtent d’avoir le nez en l’air d'attendre une venue qui ne vient pas. Toute sortie de déprim se fait par étape. Ils ne savent pas encore que faire, mais ils vont se bouger. Ils se mettent en route pour Jérusalem. Plus loin dans le récit, au verset 15, ils se retrouvent avec 120 autres croyants pour élire un nouvel apôtre afin de remplacer Judas.

3 Commencer par nous faire du bien

Ils font un petit pas. Ils restent dans leur cercle de croyants. Ils n’affrontent pas encore la société ambiante. Mais ils font quelque chose. Un pas modeste mais un pas réel. Le processus de sortie de la déprim est en route. Une éclaircie de printemps n’est pas encore la fin de l’hiver, mais elle annonce la fin de l’hiver. Je trouve ce récite étonnamment humain. Alors qu’il est truffé de faits merveilleux, ses références symboliques agissent comme une pommade homéopathique.

Dieu le sait : il faut attendre que nos forces reviennent

Dieu comprend parfaitement la nature humaine, dans le sens où il la regarde avec bienveillance. Il est patient. Il sait que nous avons besoin de temps. Il nous le dit, à travers ce récit. Bien sûr vous souhaitez parfois qu’arrive un événement merveilleux qui va résoudre vos difficultés. Mais vous le savez : il n’y aura pas de miracle, vous ne voyez pas comment vous en sortir, cela prend du temps, et encore du temps, mais arrive le moment ou vous pouvez faire un premier pas.

Et Dieu accompagne chacun et chacune de nous lorsque nous traversons ces temps difficiles. Il ne nous demande pas d’avoir de suite la force de nous en sortir. Dieu le sait : il faut attendre que nos forces reviennent. En attendant chaque pas compte. Les disciples après notre récit font je cite le verset 12 : une demi-heure de marche (certaines traductions écrivent : un kilomètre de marche)! Une demi-heure de marche ce n’est pas la patrouille des glaciers ! Mais ils font cette demi-heure pour rejoindre leurs amis, des gens avec qui ils se sentent bien. Et ils prient ensemble.

Dans ce premier temps où ils prennent conscience de la situation, ils font d’abord une chose qui leur fait du bien. Affronter les difficultés, ce sera pour la suite. Oui, dans la Bible, avant d’aller se mesurer au monde, nos amis commencent par faire quelque chose qui leur fait du bien. Cela fait partie de ce processus lent de sortie de la déprim. Ils ont d’abord fait quelque chose : arrêter de regarder au ciel, puis marcher une demi-heure. En ensuite ils ont retrouvé des personnes qui leur font du bien. Ce n’est qu’ensuite, le jour de Pentecôte que l’énergie leur revient.

Mais encore

Ce début du livre des actes, décrit remarquablement bien l’âme humaine. Mais surtout, il nous dit : Dieu accompagne tout ce processus. Dieu n’est pas venu le jour de Pâques en disant : qu’est-ce que vous attendez pour y aller ! Non il accompagne le processus. Il le sait, parfois nous manquons d’énergie, nous ne pouvons qu’entreprendre des activités qui vous font du bien. Dieu connaît notre besoin de nous retrouver dans un lieu chaud et protégé. Il est avec nous pendant tout ce temps. Il le sait, nous retrouverons la force le moment venu. Et à ce moment-là nous réaliserons de grandes choses et Dieu sera, une fois encore fier de nous. Il sera avec nous dans ces réussites, comme il est avec nous dans nos faiblesses et nos tâtonnements.